« Perfect days », une résilience utopique

Un film de Wim Wenders.

Un personnage lambda à Tokyo. Son travail ? Nettoyer les toilettes publiques. Il habite dans une vieille masure sobre et simplissime. Des livres, des sons, un futon. Chaque matin, Il le déplie dans une sorte de rituel sacré. Arrose ses bonsai, se brosse les dents et part travailler. Mêmes gestes, mêmes actions, mêmes sensations d’ennui chez le spectateur qui tarde à lâcher prise.

Après avoir avalé un café que l’on suppose froid puisqu’il l’achète dans un distributeur, il démarre sa camionnette et sa journée. Au rythme de ses précieuses cassettes audio qui le bercent de la voix sensuelle de Lou Reed.

Lors de ces moments de solitude, son visage se détend. Nous aussi. Sérénité. Plaisir essentiel d’être là tout simplement. Sur la route de… En route vers. Sans angoisse, sans anticipation.

« Nous ne tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt. »

écrivait Pascal.

Hirayama vit chaque instant comme si c’était le dernier. Dans un dénuement d’angoisse mais une présence soutenue, dense dans tous les actes de sa vie d’une richesse paradoxale. Il nettoie les saletés de ses pairs avec un respect de la tâche accomplie, un désir de bien-faire et un regard toujours neuf à l’affût de l’événement. Surgissement du hasard dans un continuum d’instants.

Un enfant qui a perdu sa maman, un jeune collègue qui a bien conscientisé l’absurdité d’une tâche qui se répète.

Pourtant Hiriyama n’accomplit pas une tâche absurde. Il a décidé de l’incarner. Elle devient l’occasion aussi de rencontrer le réel autrement. Une forme de résilience « utopique » commentera le réalisateur allemand. Un vrai lien avec l’inconscient, atemporel, créatif, sublime.

Il photographie les arbres et la lumière. « Komorebi », celle qui filtre à travers les feuilles de l’arbre. Comme cette lumière intérieure qui traverse les failles, les désirs, et illumine une partie seulement d’un objet pour laisser l’autre dans la pénombre. Elle est mouvante, imprévisible et ne se laisse jamais kidnapper par l’œil. Seul l’appareil photo argentique de l’artiste en est capable.

Et tellement peu de mots. On ne connaît presque pas la tessiture de sa voix. Etrangement les mots ne nous manquent pas. Ils seraient impudiques tant le personnage est expressif. Tant le visage de ce sexagénaire est jeune et lisse de préjugés. Je crois qu’il est amoureux mais c’est pas sûr. Il est désirant, juste et terriblement désirable. Un idéal du moi probablement difficile à atteindre mais auquel on a puissamment envie de tendre.

On désire tous le désir d’Hiriyama. Devenir cet être humain, trop humain. Apprendre le Kintsugi. Cet art ancestral qui répare un objet de porcelaine ou en céramique brisé à l’aide de laque saupoudrée d’or. La fêlure ne disparaît pas. On s’en sert pour rendre l’objet merveilleux et unique. Sublime métaphore de l’existence. De la résilience. Ne pas nier nos failles, nos fêlures, nos expériences douloureuses. Les exprimer et les sublimer. Leur donner du sens. Ce sont nos failles, nos fragilités exprimées qui font de nous des êtres rares et attachants.